Michel Amselem

Béla, vous étiez dans la salle d’attente de mon cabinet dentaire avec des livres et des cahiers, telle une jeune étudiante, lorsque je vous ai rencontrée.

Cette rencontre professionnelle, au cours du temps, me révéla une personne originale et attachante qui savait ce qu’elle voulait, et surtout ce qu’elle ne voulait pas.

Béla ne cachait rien, ni sa souffrance d’un passé lointain, ni ses rêves, et vous disait sans détour, d’un regard intense et direct, ce qu’elle pensait.

Ses yeux, son sourire, sa joie de vivre communicative resteront pour moi un cadeau inestimable.

Béla, je vous souhaite de reposer enfin en paix.

Liliane Moses

Depuis cette annonce, tombée comme la foudre du départ de Béla vers l’ailleurs… le monde n’est plus le même pour moi.  Tout le temps, malgré de longues périodes où elle se retirait, elle était là, prête à aider, faire comprendre les problèmes humains sans aucun préjugé, ouvrir des horizons inattendus, avec une liberté, une invention extraordinaire et bien sûr… il était inimaginable que Béla ne soit plus présente pour répondre aux appels. Elle nous a donné des forces vitales, elle restera toujours vivante dans mon cœur.

Claudine Cohen

Ce qui me frappait en elle, c’était sa gaîté. Je l’ai toujours vue joyeuse, enjouée, presque facétieuse et même parfois un peu exubérante. Elle semblait avoir une immense joie de vivre,  tout en gardant les pieds sur terre. Je sais qu’elle a  été psychanalyste, mais elle n’avait pas l’air de tristesse un peu lasse qu’arborent  en ville certains de ceux qui exercent ce métier. 

Elle avait aussi quelque chose d’un peu enfantin, je me souviens de la fierté et de la grâce avec laquelle elle portait, lors de la projection d’un film  consacré à Henri à l’EHESS, une magnifique robe en velours violet qui soulignait sa belle silhouette. Je me souviens aussi de sa présence fière et souriante lors de la soutenance de thèse d’Henri à la Sorbonne, il y a cinq ans,  et au « pot » qui a suivi. Elle  assistait parfois  à nos séminaires et nous avions une relation d’une chaleureuse familiarité. 

J’ai été d’autant plus surprise lorsque j’ai lu le court texte biographique qu’Henri a fait paraitre au moment de son décès. Il était question d’une enfant internée peu après sa naissance au camp de Gurs, atteinte de septicémie, sauvée in extremis par des résistants, cachée, orpheline recueillie par l’OSE et élevée par l’assistance publique. Elle avait survécu à toutes ces terribles épreuves. Je n’imaginais pas cela – comment pourrait-on l’imaginer ? – mais j’ai alors compris  la profondeur  de sa gaîté, qui  traduisait sans nul doute le triomphe de la vie et de la joie de vivre sur  la souffrance et les forces  du mal —  ce qu’on appelle  la résilience — , et aussi la profondeur du lien qui pouvait l’attacher à Henri.

C’est un honneur pour moi que d’avoir pu entretenir une amicale proximité, au cours de ces années, avec le très beau couple  qu’ils formaient ensemble. 

Paris, le 26 février 2022

Françoise Skurman

Il y a vingt ans, je suis partie vivre aux Etats-Unis. Les Atlan passaient de plus en plus de temps en Israël. Les rencontres devinrent rares.

Mais avant cela, je crois que nous étions très proches, Béla et moi. Nous habitions dans la même rue, les portes des immeubles se faisant face. J’aimais ses longs cheveux blonds, ses grands yeux bleus qui scrutaient intensément, sa voix mélodieuse, son immense passion pour Henri, qui était le centre absolu de sa vie. Notre relation était curieusement faite à la fois de non-dits et de grande intimité, où la présence affectueuse l’emportait sur la parole.

Au fond, je ne sais pas grand-chose de Béla, et je n’ai pas cherché à savoir. Il y avait des océans de souffrance. « Comme ta petite fille a de la chance de connaître les bras d’une mère », m’a-t-elle dit un jour. Mais chacune de nous écoutait les confidences de l’autre sans poser plus de questions qu’il n’était nécessaire.

Béla voulait aider chaque personne en difficulté. « Il/elle est venu(e) me voir, nous avons parlé pendant des semaines et je crois que je l’ai beaucoup aidé(e) », disait-elle de temps en temps.

Un jour, me suivant dans ma chambre, elle a aperçu le dressing du père de mes enfants, resté intact depuis le jour de sa mort. avec tout ce qu’il possédait. Elle n’a rien dit. mais elle est revenue armée d’un pendule qu’elle a promené avec un air sérieux dans toute la maison, jusqu’à ce qu’elle atteigne ce dressing. « Je sens de mauvaises ondes, a-t-elle alors déclaré avec autorité en entrant dans la pièce. » Elle aurait pu, en ses qualités de psychologue et d’amie, me tenir un long discours. Elle a préféré faire intervenir cet objet, le pendule, en lequel nous ne croyions ni l’une ni l’autre. « Qu’est-ce que c’est que tout cela? » s’exclama-t-elle.  « Regarde comme le pendule s’agite. Fais sortir ces choses de chez toi. » Elle a insisté jusqu’à ce que je vide le dressing. Elle avait raison, ce fut une grande libération.

Elle-même appelait parfois à l’aide. Elle avait des crises de désespoir ou de dépression, et me téléphonait pour me dire qu’elle ne pouvait pas manger. Je venais avec des croissants que je déchiquetais pour lui mettre dans la main, bouchée par bouchée, avec de la confiture.

Sa générosité n’était pas que dans son conseil avisé.  Entrée un jour en possession d’une somme importante, elle l’a donnée à des œuvres, comme si elle la brûlait. Elle avait des raisonnements compliqués pour expliquer pourquoi elle ne pouvait pas le garder. Cet argent était, en quelque sorte, impur. Je crois qu’elle ne dépensait rien pour elle-même.

Pourtant, elle avait un grand intérêt pour les questions esthétiques et elle aimait les beaux objets. Son appartement de Paris était plein de goût et de charme, et elle le redécorait constamment en pensée. Mais l’esthétique n’était pas vraiment en cause. Elle recherchait avant tout l’harmonie entre les êtres, et l’harmonie d’un lieu la touchait. C’était peut-être la seule trace de bourgeoisie en elle, mais ce n’était pas vraiment important : Henri était sa maison.

Je l‘ai croisée il y a un an sur le boulevard Montparnasse, et il m’a semblé qu’elle était paisible et heureuse. Nous allions célébrer un Pessah ensemble.

Eva et Jonathan Ruimy

J’ai connu Béla par le biais de mon mari, Jonathan Ruimy, car elle était au départ une cliente de son salon de coiffure. Je l’ai appréciée tout de suite car elle me faisait penser à ma grand-mère Ashkénaze, blonde aux yeux bleus comme elle. De par son histoire et le drame qu’a été son enfance, en miroir avec celui de ma famille (déportation et décès en Pologne de mon arrière-grand-mère et de mon grand-oncle), je me sentais proche d’elle. Je l’appréciais et la respectais énormément. C’est pourquoi j’ai été profondément peinée lorsque j’ai appris son décès si brutal.

J’étais si heureuse lorsque je la croisais sur le boulevard du Montparnasse pour pouvoir lui parler et lui demander des conseils. Elle n’était que gentillesse et bienveillance. Je suis persuadée qu’elle n’a jamais fait de mal à personne durant toute sa vie. Ce sont les autres qui lui ont fait du mal.

Je l’avais vu à peine quelques jours avant qu’elle s’en aille. J’étais à la caisse du salon de coiffure et je l’ai aperçue au loin. Je lui ai fait un bonjour de la main. Elle ne m’a pas reconnue tout de suite, ce qui m’a paru étrange. Puis elle a collé son visage sur la porte afin de mieux voir et m’a fait un signe en réponse avec un énorme sourire, je ne savais pas que c’était la dernière fois que je la voyais en train de me faire un coucou à travers la porte. Je garderai toujours cette image d’elle, souriante en train de me dire au revoir au loin…

Eva Ruimy

J’ai eu la chance de rencontrer Béla il y a plus de 10 ans lorsque j’ai ouvert mon salon de coiffure dans le même immeuble qu’elle. Elle fut d’abord une cliente sympathique et attachante puis elle devint une amie. En effet, nous étions invités avec mon épouse tous les ans chez elle à l’occasion de la fête de Chavouot. Cette fête où l’on ne mange que du fromage était l’occasion pour elle de pouvoir nous recevoir à table en toute simplicité avec son époux Henri Atlan.

Ce que j’aimais beaucoup chez elle c’était sa sympathie, sa vivacité d’esprit et sa joie de vivre malgré toutes les épreuves qu’elle avait pu endurer. Elle était toujours jeune dans sa tête, parfois même plus jeune que moi alors que je n’ai que quarante ans. Elle savait se faire entendre mais elle savait aussi écouter les autres. Je me souviens d’elle venant me voir au salon de coiffure pour me demander si son nouveau blond lui allait bien. Elle était toujours bienveillante et venait me dire si quelque chose n’allait pas au salon de coiffure lorsque je n’étais pas là. Elle était toujours à me complimenter sur le salon de coiffure ou sur moi-même.

Les Chavouot ne seront plus jamais les mêmes sans elle et nous aurons avec mon épouse tous les ans une pensée émue lorsque ce jour arrivera.

Jonathan Ruimy

François-Benoît Besse

Béla, reste présente dans ma mémoire comme l’incarnation d’une force à exister, capable de surmonter les épreuves exceptionnelles d’une vie assurément hors du commun…

Elle savait créer des liens assez puissants pour qu’une relation sincère puisse s’écrire en toute simplicité.

La psychanalyse qu’elle pratiquait, lui a sûrement permis de parcourir un chemin où les questions posées recevaient des réponses acceptables…

Béla une amie, pour l’éternité…

Jean-Michel Bloch

Béla c’est une amitié de 40 ans. Je l’ai rencontrée après son mariage avec Henri. Au début j’ai été quelque peu désarçonné par sa personnalité. Ses brusques reparties si un mot, une phrase ne lui agréaient pas. Et puis j’ai compris très vite cette qualité rare. D’instinct elle sentait où se situaient le juste et le vrai qu’elle exprimait dans un cri qui jaillissait du fond d’elle-même, par-delà les convenances et le « moralement et politiquement correct » Et son extrême pudeur, son exigence de vérité se révélait dans son impudeur à dire crûment les choses.

Béla était libre.

 Elle était imprévisible, toujours là où on ne l’attendait pas. Et il n’était pas toujours facile de l’affronter, d’affronter ses « engueulades » que beaucoup, quel que soit leur statut social redoutaient.

Je ne voudrais pas idéaliser Béla. Elle pouvait se tromper mais elle était entière, sans concession. Elle jugeait à l’aune d ’un sentiment intérieur, témoin d’une belle « nechama », d’une belle âme comme m’avait dit un ami, et qui la portait à un don de soi envers les autres, une écoute, une attention, et pas seulement dans son activité professionnelle. Elle s’intéressait aux gens, même les plus simples au hasard de ses rencontres, toujours disponible et prête à leur venir en aide. C’était le pendant de son caractère exigeant et révolté. Mais elle pouvait aussi du jour au lendemain cesser une relation si elle ne vous en jugeait pas digne et puis un jour elle réapparaissait.

 De toi Béla je garde toujours en moi l’image d’une femme jeune. Car cette énergie, cette fougue, cette liberté te conféraient une fraicheur et une éternelle jeunesse.

J’ai appris par Henri ce qu’elle avait traversé, seule, dans son enfance et son adolescence. Mais elle est restée elle-même, intègre.

Béla tu étais unique et tu nous manques.

Fabienne Ameisen

Béla, amie, sœur, mère, petite fille,

nous te portons en nous comme tu nous as portés en toi

Tu nous as tant donné de toi

tant de ta présence, ton amitié, ton aide fraternelle

ton histoire

l’Histoire de ce monde qui t’a vue lui survivre, et vivre, si forte

si forte pour les autres

présente et si vive

joyeuse et grave

si vive, si présente

tu nous donnes tant

Oh comme tu fais partie de nous !

Un jour je racontais à la psychanalyste lumineuse que tu étais l’étrangeté de ce bloc de béton cellulaire qui s’était métamorphosé entre mes mains : le bloc avait pris, au cours du temps, d’abord l’apparence d’un vieux Hohem puis d’une femme grave, et puis – au moment de la mort de ma mère – d’une matrice tendre à ailes d’aigle en train d’accoucher…

Ce jour-là, dans l’être naissant, j’avais reconnu ton visage. Alors tu m’as dit ton histoire, et chaque élément de la sculpture, à travers le temps, visible et invisible, était une partie de l’histoire que tu me confiais.

Un autre jour, c’était en contemplant un pin maritime dont des branches avaient été emportées dans les tempêtes et qui dansait, immobile, dans le soleil couchant que je t’ai reconnue en lui.

Le pin maritime a perdu sa dernière branche vive dans la tempête d’une nuit. Son tronc dansant, majestueux, sublime, danse, danse encore dans le soleil doré.

Tu as tant donné de toi

Parmi ces dons de vous à nous, généreux et sans limites, aujourd’hui, de vous deux, si beaux, j’entends la voix harmonieuse de votre chant,

la voix d’Henri, la voix de Béla, une harmonie paisible dans le vacarme des jours, un paysage, soleil et sable et l’eau pure des collines verdoyantes

Les mots ont du mal à dire le chagrin de ta perte et la joie de t’avoir connue

Ton souvenir est bénédiction.

Fabi

Jacques Attali

J’ai connu longuement Béla avec Henri dont elle était la lumière et le partenaire de la vie et de l’intelligence.  Elle était joyeuse, faussement naïve et enfantine. Elle réussissait à s’émerveiller, à aimer, à être indulgente et heureuse, malgré tout ce qu’elle savait en sa chair de la monstruosité de la nature humaine. Elle avait ainsi, mieux que personne, compris qu’il faut chercher en chaque humain l’étincelle la plus enfouie de gentillesse, d’empathie, de respect. 

Monique Canto-Sperber

Chaque rencontre avec Béla réveillait la même évidence : inutile de résister à son appel. Dès les premiers mots échangés avec elle, on sentait que l’esquive était impossible. Elle installait le dialogue comme une réalité concrète, une maison ou un enclos, où il fallait avancer en s’appuyant aux murs. Béla ne perdait pas de temps dans les relations humaines, chaque échange devait être pour elle un concentré de vie, il atteignait parfois une telle intensité qu’on savait que s’y jouait le sens de l’existence, avec l’obligation d’aller à l’essentiel. J’ai parfois ressenti de l’inconfort lors de tels moments, l’impression d’être convoquée à quelque chose dont je ne voulais pas, mais j’admirais Bella malgré cela car elle avait le don dans les circonstances les plus triviales de la rencontre – le boulevard Montparnasse, un café, trois mots échangés dans la cuisine – de faire en sorte que la réalité ordinaire bascule sur un autre plan où, derrière les paroles échangées, on traitait de la vérité humaine et des raisons qui justifiaient encore et encore qu’on soit en vie.

Béla s’est donnée sa propre vie, elle qu’un destin implacable avait voulu condamner, une vie qu’elle veillait à rallumer en tout temps, en tous lieux, pour elle et pour les autres Rencontrer Béla, c’était répondre à un appel, aussi impérieux que la nécessité de vivre.

Béla était lumineuse et sombre, douce et tranchante. Elle évoquait parfois son enfance, mais touche par touche, comme si après la violence de ce qu’elle avait vécu enfant, elle ne devait plus rien à la cohérence des récits. Beaucoup de ses silences ou de ses excès de parole tournaient autour de la place vide de son père, qui était-il, où était-il.

Béla avait une face solaire. Son sourire, sa générosité, la chaleur de ses invitations, le bonheur qu’elle avait en constatant le plaisir de ses convives sont restées pour moi des moments de lumière inoubliables. Parmi beaucoup d’autres, je me souviens de la joie partagée d’une soirée de changement de millénaire, où nous nous sommes retrouvés à Jérusalem, si généreusement accueillis par elle et par Henri.

Dans le faire part du décès de Béla, Henri parle de Béla comme de sa femme et de son amie. Je le remercie d’avoir reconstitué pour tous ses proches le douloureux tissu de son enfance, d’une enfant laissée seule, dès l’âge de quelques mois, juive et allemande, au camp de Gurs, séparée de sa mère restée en Allemagne et destinée à la mort. Il a dit comment elle avait échappé à la déportation vers Drancy puis vers les camps de la mort. Toute personne née entre 1939 et 1945 et qui a n’a pas été tuée est présumée survivante, mais Béla a survécu plus encore que beaucoup d’autres, elle qui au début de sa vie n’eut personne autour d’elle. Elle a trouvé ensuite l’amour d’Henri et de sa famille. Bella était irrésistible.