Maurice Olender

Incandescence

Toute rencontre avec Béla se jouait sur le mode de l’adoption : vous l’étiez ou ne l’étiez pas, d’emblée – sans même le savoir. Elle avait d’ailleurs un rapport aigu à tout savoir – comme si la critique ultime pouvait coïncider là encore avec du savoir comme adoption – en adéquation, mais avec quoi d’indicible ? Même qu’elle criait si fort parce qu’elle ne voulait pas qu’on l’entende : la joie, la douleur, l’amour, la confiance que seule un enfant vous accorde, se sachant d’autant plus perdu qu’il n’a rien à gagner. Jamais la moindre méfiance :  simplement un non radical, un oui sans concession.

Sa présence éveillait du secret. Sa parole semblait dire et ne pas dire. Lors de nos toutes premières rencontres, toujours avec Henri, que s’est-il passé ? Comme une présence de rare intensité que seule peut conférer une ascèse intime de l’absence. Ici nul paradoxe :  une forme accomplie de ce qui échappe, pleinement.

Avec Béla je me suis souvent demandé ce qui se disait sans se formuler, qui, de son regard perçant, brisait nos miroirs.

Tout se jouait de manière instantanée sur plusieurs niveaux. Elle ne craignait pas les réalités enchevêtrées. La précision des mots, toujours choisis. Ils étaient aussitôt convertibles : on pouvait les entendre de droite à gauche, de gauche à droite, de haut en bas et inversement, comme un gant se libère de toute trace des doigts pour mieux s’attacher au creux de la paume.

Bien sûr, Béla, mes mots t’auraient fait sourire – même rire aux éclats. Tu aurais pu dire : pourquoi s’adresse-t-on si bien à ce qui s’absente ? quelle est cette foutue pudeur qui rend muet face aux vivants ?

Un aveu : je n’ai jamais été adepte de la pudeur sociale – elle le savait.

La rencontre avait lieu à ce prix-là : briser les tables oniriques de la norme pour mieux adhérer aux nécessités de l’instant.