Un destin
Un destin extraordinaire et singulier, bien que parmi des centaines de milliers d’autres. Béla, Rachel Kohn-Atlan, est née à Francfort, en Allemagne nazie, le 2 avril 1940. Sa mère, Anny Kohn, qui avait 20 ans au moment de la naissance de Béla, la place, le 12 avril 1940, à la Maison des femmes juives à Neu-Isenburg près de Francfort, puis la confie à une famille d’accueil à Villingen, petite ville de Bade, le 13 août 1940. Anny sera déportée à l’Est, le 1er décembre 1941, au ghetto de Riga, puis, en octobre 1944, au camp d’extermination de Stutthof, près de Gdansk, en Pologne, où elle décèdera avant le 8 mai 1945 (probablement en janvier). Le père de Béla reste inconnu jusqu’à ce jour.
Béla et sa famille d’accueil sont déportés en France non-occupée en octobre 1940 et internés, en tant que juifs et Allemands, au camp de concentration de Gurs, antichambre de Drancy, puis d’Auschwitz. Le père adoptif, Berthold Haberer, trouvera la mort à Gurs le 7 janvier 1942. La mère adoptive, Georgine Haberer, sera déportée à Drancy, puis à Auschwitz, le 10 août 1942.
Quant à la petite Béla âgée de neuf mois, elle est sortie du camp en janvier 1941 grâce à une septicémie providentielle, et recueillie dans une pouponnière par L’Amitié Chrétienne (œuvre de secours interconfessionnelle), puis cachée sous un faux nom en relation avec des groupes de résistance. Elle est ensuite élevée à Limoges par une infirmière de la pouponnière, qui devient sa nouvelle famille d’accueil, avec l’aide de l’OSE (Organisation de Secours aux Enfants) et de l’Assistance Publique. Elle est naturalisée française à 13 ans.
Elle poursuit ensuite sa scolarité, dans un foyer de jeunes filles à Strasbourg, où elle est active dans plusieurs mouvements de jeunesse, dont les Eclaireurs Israélites de France. Elle entreprend alors des études à Paris, toujours aidée, orientée et suivie assidument, même de loin, par une assistante sociale depuis Limoges. Son entrée dans la vie active suivra de quelques années le décès, en 1971, de sa protectrice.
Devenue psychanalyste, elle exerce son métier, en particulier dans des centres psychopédagogiques, où elle fait preuve d’un talent particulier dans les thérapies d’enfants et d’adolescents, puis à l’Institut de Psychosomatique de Paris. Elle soutient une thèse de psychologie à l’Université de Paris VII en 1987. Elle exprime dans son travail clinique une subtilité et une force de caractère, associées à une attention chaleureuse, peu communes, qui s’est perpétuée pour certains et certaines de ses patients et de ses amis qui venaient prendre conseils auprès d’elle.
Pendant les 44 ans de notre vie commune, j’ai toujours été frappé par sa perspicacité qui la faisait aller d’emblée à ce qui se révélait souvent l’essentiel en parlant avec empathie, et en faisant parler des personnes, en dehors de son activité clinique, qu’elle ne connaissait pas ou très peu. Elle ne sera pas oubliée.